Mars 2020

Je suis psy dans un hôpital psychiatrique ouvert. Depuis le début du confinement j’ai peur pour ses patients déjà fragiles. On assure tous les jours une permanence téléphonique depuis l’hôpital mais ce n’est pas pareil.

Au bout d’une semaine, il n’y avait plus assez de masques ou de gels, la direction a communiqué (assez tard) sur les gestes barrières et la nécessité de nettoyer son plan de travail et tout ce qu’on touchait comme le téléphone régulièrement mais on n’a pas l’habitude et très vite on oublie.
Avec le confinement qui dure, certains patients, du fait de leur pathologie, angoissent davantage : l’autre fois, un de mes patients, m’a dit qu’il allait se suicider. J’étais seule, pas de collègue ou voisin véhiculé, j’ai préféré prévenir les pompiers pour qu’il se charge de lui. Il faut décider vite avec peu d’éléments, évaluer le risque. Ce n’est pas toujours facile.

On prend aussi en charge une permanence téléphonique entre collègues de 18h à 22h de chez nous. Bénévolement. Par souci du patient, par vocation, parce qu' »on ne sait jamais ». Mais cela reste du travail, cela devrait être encadré. Après comment se battre pour ne pas qu’ils reviennent sur les 35h si on accepte ça nous-mêmes du fait de la crise du Covid19 ? Et ça déborde sur notre vite privée, on est susceptible d’être appelé en urgence, n’importe quand. Même si nous-mêmes sommes confinés, on ne coupe pas vraiment avec le travail.
Depuis l’annonce de Martin Hirsch, j’ai des craintes qu’on nous réquisitionne. Je comprends la démarche et je la soutien. Il faut tout le monde sur le pont. Mais je ne sais pas si j’en suis capable. Aujourd’hui, je connais mes patients, la manière dont on fonctionne avec mes collègues. Et si demain on me contraint à aller dans un endroit où les patients sont plus difficiles, dont les pathologies sont plus graves ? Je ne sais pas si je pourrais gérer, prendre les bonnes décisions.

C’est vraiment une situation inédite, on bricole au jour le jour, sachant qu’avant la crise sanitaire, c’était déjà tendu.

Avril 2020

On est un mois et demi après le début du confinement. Les choses commencent tout doucement à se mettre en place. Mais avec le recul, le début était complètement chaotique.

A ce moment là tout manquait, les masques, le gel, les effectifs, les tests, un seul thermomètre frontal pour le service, mais surtout les protocoles pour les tâches en contact avec les patients :  la garde, la consultation, l’accueil. On faisait « comme on pouvait » en ne sachant pas si ils ou nous étions Covid+. On prenait le risque de le contaminer ou de nous contaminer. Une collègue l’a été sans le savoir, elle a ensuite contaminé toute sa famille. Ça peut aller tellement vite. Une autre collègue l’a eu, assez jeune, elle a même fait un AVC en pleine réunion. On était tous sous le choc. On ne savait pas encore à ce moment là qu’il y avait des symptômes neurologiques du Covid.

Et on n’était pas aidé par la direction non plus. Des réunions de crise avec la direction étaient faites tous les jours. Mais sans aucune note, sans aucune trace écrite. Comme s’ils ne voulaient pas prendre la responsabilité sur les décisions prises sur les manières d’accueillir les patients pendants la crise sanitaire. Et si après il y a un problème, c’est de notre faute ? Ça a été un bras de fer pour reconnaître nos difficultés et leur faire prendre leur responsabilité. On a enfin des compte-rendu des réunions. On a aussi vu la bureaucratie hospitalière : pendant une période, personne ne savait qui devait valider la commande de masques et de surblouses sur les 18 directeurs de pôles. Complètement absurde !

Au début, c’était plutôt calme on avait peu d’appels à la cellule de crise psychologique, on suivait nos patients habituels et puis au fur et à mesure du confinement ça a grimpé en flèche. Des appels des voisins ou de la famille pour nous signaler quelqu’un qui n’était pas bien. Aucune fausse alerte : des personnes délirantes, des crises d’angoisse, des crises personnes addicts en manque, avec parfois au bout des violence conjugales… il y a de tout. Le confinement amplifie tout ça.

Même pour nos patients qui sont chez eux, il a fallu redoubler de vigilance, ceux qui ne s’alimentent pas régulièrement ou ceux qui pètent un câble s’ils restent enfermés trop longtemps. Ça a été tout une histoire avec les attestations. Ils sortaient sans, ils ne comprenaient pas. Ils ont été plusieurs à avoir des amendes, pas qu’une parfois, à être contrôlés régulièrement. Certains médecins qui ont essayé d’expliquer la situation se sont fait rembarrés par les policiers au début. Depuis ils sont exemptés, ils ont un certificat spécial. On aurait pu y penser avant…

Depuis mi avril, on a enfin un vrai protocole avec un test de tous les patients qui se présentent, ils restent ensuite 72h en observation et si nécessaire ils vont dans une aile réservée aux patients Covid, on a un médecin épidémiologiste.

Mais il reste encore plein de questions. Il y a 2 semaines, j’ai vu un de mes patients 3 fois, chez lui. Ce sont des visites habituelles pour garder le lien. Il est mort du Covid quelques jours après, il était âgé mais n’avait aucun symptôme. J’essaie de refaire le film de mes visites : j’étais à la bonne distance ? Qu’est ce que j’ai touché ? Mon collègue a aussi vu une dame à son domicile qui est décédée du Covid quelques jours après. Y’a pas vraiment de protocole quand on visite quelqu’un à domicile. Et, même si ça va mieux sur les équipements, on en manque encore pour pouvoir être complètement serein et pouvoir les changer si nécessaire. Il faudrait a minima 2 paires de gants et 2 masques pour tous par jour. Ce n’est pas encore le cas.

Comme on gère les soins psychiatriques avant tout, la menace Covid a été prise en compte dans l’après coup. On a toujours un train de retard, on commençait à s’organiser et là, on nous annonce le 11 mai.

On ne voit pas comment c’est possible pour nous. A l’hôpital de jour, les activités sont collectives, on mange aussi ensemble, les patients et le personnel vont et viennent dans tous les sens. On ne peut pas tout vitrifier. Ils ne peuvent pas nous l’imposer, c’est trop risqué.

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