Extraits d’un entretien entre un sous-traitant et un interne d’une usine

Sous-traitant : J’ai commencé en août 87 par l’entreprise extérieure B., c’est une entreprise de mécanique qui travaillait pour l’usine A.

Les entreprises extérieures, je ne veux pas dire que ce sont celles qui sont les plus exposées, mais disons, ce sont celles qui font le travail de maintenance et du travail de nettoyage. Donc, nous, notre action était sur ce qui concernait le nettoyage bien sûr, la réfection de vannes, de moteurs, c’était tout ce qui est mécanique.

On faisait de la maintenance dans toute l’usine sans distinction. Quand on intervenait on ne connaissait aucun des produits auxquels on avait à faire. Moi j’ai nettoyé un réacteur parce qu’un produit était collé sur les parois du réacteur, il fallait qu’on l’enlève totalement donc je l’ai fait avec un burin et un marteau.

Quand on a nettoyé le réacteur on était deux et avec le petit burin en laiton et aussi avec des brosses métalliques rotatives à air et là ça frotte la paroi du flanc du réacteur, ça faisait plein de poussières donc toutes les dix minutes tu es obligé de remonter. La cuve n’était pas fermée, le dôme avait été enlevé, c’était à l’air libre mais ça ne fait rien on remontait toutes les dix minutes parce que ça nous prenait à la gorge. 

On a nettoyé aussi un réacteur en verre mais là c’était liquide et tout le monde avait des gants mais c’est pareil on n’avait pas de masque. On ne savait absolument pas avec quel produit on nettoyait.

Pendant les vacances, on nettoyait les tuyaux, quand on démontait les vannes, les tuyaux il y avait encore souvent du produit. 

Interne : les tuyaux n’étaient pas rincés, je peux le dire parce que j’ai vécu à côté de lui, j’ai vécu de l’autre côté de la barrière moi j’y étais, je travaillais dans l’usine, j’étais en CDI, et les tuyaux n’étaient jamais rincés avant que les sous-traitants interviennent.

Sous-traitant : on avait des gants mais sinon les chaussures de sécurité c’étaient les nôtres. Quand on est en entreprise extérieure, les vêtements et tout il en a qui travaillaient en jean’s et baskets, bon moi j’avais des chaussures de sécurité mais il y a des gens qui étaient en basket.

Bon de toute façon je vais vous dire les entreprises extérieures, et encore nous on travaillait qu’au niveau de la mécanique, mais ceux qui travaillaient dans les tuyauteries, qui changeaient les tuyauteries ça devait être quelque chose, parce que j’ai un collègue, lui il m’a dit un jour on a démonté une tuyauterie on a pris la douche, on a pris la douche (silence).

Interne : vous étiez moins que rien pour nous.

Sous-traitant : oui avec les salariés de l’usine, on n’était presque des, le mot est peut-être un peu fort mais on était presque des pestiférés pour eux. On était des moins que rien, d’ailleurs moi plusieurs fois j’ai eu besoin de renseignements parce qu’un jour, j’ai fait des vidanges de moto réducteur et on m’avait donné une liste et c’était numéroté et je ne trouvais pas dans le bâtiment, je ne le trouvai pas et puis j’étais rentré dans une salle, une salle où il y avait des gars à côté hein, et bah ils ne m’ont même pas renseigné ils m’ont dit c’est à vous de vous démerder. 

(…)

Sous-traitant : On n’avait pas de masque mais on avait des gants, mais par contre il m’est arrivé un accident en mars 89, j’ai pris une goutte de produit, un anti-oxydant que j’ai pris dans l’œil, ça m’avait brûlé la cornée et j’ai eu un arrêt de 12 jours et la société A. est venue chez moi et ils m’ont demandé mon triptyque, vous savez l’arrêt de travail. Ils m’ont dit qu’ils allaient le faire changer parce qu’ils ne voulaient pas d’arrêt de travail et ils m’ont dit si vous voulez que votre contrat soit renouvelé c’est la condition préalable pour que ce soit le cas, donc en CDD bah j’étais obligé [de leur donner].

Interne: bah oui t’es obligé.

Sous-traitant: alors donc ils m’ont ramené un triptyque, ils ont été voir l’ophtalmo, ils m’ont ramené un triptyque où il n’y avait plus d’arrêt donc après je ne pouvais pas aller à l’usine, mais ils venaient me chercher, ils me ramenaient à midi, ils revenaient me chercher à une heure et demie et ça pendant pas mal de temps et puis j’allais quatre fois à l’infirmerie me faire mettre du collyre.

Interne : et là ils t’ont renouvelé ton contrat.

Sous-traitant: et ils m’ont renouvelé mon contrat et ils m’ont monté de catégorie, de la fabrication je suis passé au labo.

Interne : tu as de la chance (ironie).

Sous-traitant : voilà c’était ma récompense mais à la fin du CDD, on m’a dit au revoir.

(…)

Interne : Je vais vous dire, les entreprises extérieures chez nous c’était des sous-hommes, c’était des hommes dont on se servait pour faire tout ce que l’entreprise ne voulait pas faire et fallait que ça coûte le moins cher possible à celui qui le faisait pour que ça lui rapporte le plus possible tout simplement vis-à-vis de notre direction, c’est simple c’est pour ça que les équipements, ils n’avaient rien, ils n’avaient pratiquement rien. Nous on a était un peu plus gâtés quand même.

Sous-traitant :j’ai travaillé 10 ans chez S. comme sous-traitant pour A. On était 350 intérimaires, il y avait 160 personnes en CDI chez S.  C’était la ruche, la ruche, sur une machine on travaillait à 12-13, des mécaniciens, des électriciens, des tuyauteurs, et on faisait des heures, des heures, en 94 moi je me faisais des salaires de 13 000, 14 000 francs par mois, et un jour c’était vers le mois de décembre, janvier, peut être en janvier, et on travaillait samedi, dimanche et on n’avait pas d’arrêt et on faisait des postes le soir, matin, soir-matin, soir-matin, tout le temps, et par exemple on prenait de 5h du matin jusqu’à 1h et on reprenait de 9h jusqu’à 5 heures et après ça nous laissait une journée entière avant de reprendre en poste.

Comme on étaient intérimaires, c’était bien vu de ne pas prendre son repos. Alors ils venaient le vendredi soir, alors le chef me disait. « – demain tu viens, – bah oui quoi ». Alors je dois reconnaître un jour j’étais de mariage et j’ai dit bah j’peux pas venir je suis de mariage et ils m’ont compté ma journée quand même. 

(…)

On travaillait sur des machines qui valaient 3 milliards de francs, oui.

Et puis un jour, c’est arrivé il y a un gars qui a eu un accident bon ça arrivait il y en a qui se sont fait couper les doigts mais bon et comme il était intérimaire la sécu [sécurité sociale] ils ont demandé son nombre d’heures et quand ils ont vu qu’il avait 350 heures ou un truc comme ça alors là ils ont dit ouh la qu’est ce qui se passe là, l’inspecteur du travail est venu voir là il a dit terminé

Après, on travaillait plus le samedi et le dimanche ça m’a fait le plus drôle, parce qu’enfin de compte moi je sortais d’un an de chômage on travaillait tête baissée moi je peux vous dire on regardait pas les heures rien et en plus c’était un travail propre parce que c’est du montage mécanique parce qu’il y avait que des réglages à faire, les pièces sont propres, je veux dire c’était intéressant mais où ça m’a fait drôle c’est le premier lundi où il a fallu reprendre le boulot après un week-end de deux jours. J’étais aux abonnés absents (rires) parce que j’étais tellement dedans, tellement dedans, toujours l’habitude de venir alors c’était l’habitude ça ne nous gênait pas de venir travailler on passait notre vie dans l’usine. J’en connais, ils passaient leur vie dans l’usine, ils couchaient dans la voiture, la voiture elle était sur le parking, ils couchaient dans la voiture, l’usine ne fermait jamais, jamais, il y avait toujours du monde.

(…)

En 2002, notre société S. elle a déposé le bilan, liquidation judiciaire voulue, parce qu’il y a eu tellement de magouilles de notre patron, de magouilles financières avec des fonds européens, des fonds de l’État et tout, alors ils ne pouvaient pas vendre à l’État parce que ça se serait découvert, alors liquidation, ils ont viré tout le monde.

Moi j’avais 51 ans, 51 ans, handicapé, pour moi ça a été terminé, je n’ai plus jamais retrouvé, on ne voulait pas de moi (silence).

Mots clés : ViolenceDuTravail, Intérimaires, Maintenance industrielle, Produits chimiques

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