Je suis professeure des écoles et je suis sceptique. Je suis jeune, en reconversion, après avoir travaillé plusieurs années en entreprise dans le marketing et la publicité.

J’ai fait ma cinquième rentrée à Paris cette année et toujours pas de poste dans une classe fixe. Cela fait 5 ans que je vagabonde entre deux écoles et trois classes ; voilà un courrier envoyé au ministère l’an dernier.

Monsieur le Ministre,

J’ai travaillé durant plusieurs années au service marketing et publicité de deux grandes entreprises ; je rêvais pourtant d’un autre monde professionnel, plus humain et dont le sens serait plus tangible.

Je fais donc partie des reconvertis, de ceux qui croient encore que l’Éducation Nationale peut changer les choses. J’ai passé le concours de professeur des écoles il y a trois ans et la suite a été, non sans épreuves, au-delà de mes espérances. D’abord affectée dans une classe de petite section, j’ai appris avec un binôme expérimentée les rudiments du métier. Ensuite affectée, de nouveau en maternelle, dans une autre école, j’ai continué à apprendre entourée d’enseignants bienveillants et constructifs. Ma formation, c’est à eux que je la dois. A force de travail et d’écoute, de conseils, je me sens désormais plus légitime dans ce métier. Il m’aura fallu trois ans de travail pour en arriver là. Ces trois années peuvent à elles seules résumer « l’école bienveillante » qui vous est chère.

Nous avons fait une demande, avec la directrice de l’école maternelle « … », auprès de l’Inspection, pour que mon poste soit maintenu dans cette école de la bienveillance dont vous avez d’ailleurs fait la visite il y a quelques mois. Il restait plus de deux postes non pourvus à l’issue du mouvement. Les parents d’élèves ont également soutenu ce maintien en faisant parvenir un courrier à l’Inspection.

En juillet dernier pourtant, j’ai été affectée, de manière assez confidentielle sur la plateforme virtuelle iprof, en primaire dans deux écoles de la circonscription. Je dois vous rappeler que je n’ai reçu aucune formation en primaire et que je suis donc particulièrement démunie et en colère. Je n’ai eu aucune réponse de la part du rectorat, suite à ma demande de recours, et j’ai dû me déplacer pour m’entendre dire que les postes n’étaient maintenus qu’en REP et que seule l’ancienneté pouvait justifier une prise de poste vacant.

Je m’étonne de la gestion des ressources humaines qui entraîne un manque de cohérence au sein des établissements. Si l’ancienneté est privilégiée, comment se fait-il que les postes vacants aient été attribués à de nouvelles recrues dont l’ancienneté ne dépasse pas deux ans ? Ces mêmes recrues venant parfois du primaire et n’ayant aucune expérience en maternelle. Comment peut-on accepter que l’école de la bienveillance rebatte sans arrêt les cartes alors que, vous l’avez dit vous-même lors de votre venue, l’équilibre des enfants passe aussi par l’affect et la stabilité des équipes ?

Je ne suis ni syndiquée, ni particulièrement véhémente habituellement, mais je me sens aujourd’hui démotivée et démunie face à cette gestion inhumaine et incohérente. Je ne suis que le porte-parole de nombreux enseignants qui ont connu le même type d’affectation aléatoire cette année et j’en appelle à votre bon sens pour que les choses soient gérées de manière plus sensée à l’avenir.

Peut-on réellement former sur une année, à la fois, à la maternelle et au primaire ? Peut-on accepter que des enseignants soient parachutés sans formation dans un niveau qu’ils ne maîtrisent pas ? Le recrutement ne devrait-il pas être géré par les directeurs d’établissements eux-mêmes ?

Ayant reçu une formation centrée sur la maternelle et ayant travaillé trois ans en école maternelle, je me sens légitime pour travailler dans ces niveaux, et aucunement en primaire. A deux jours de la prérentrée, je vais pourtant devoir me former une nouvelle fois sur le tas.

Je pense qu’il est urgent de repenser la gestion du personnel pour qu’elle aille dans le sens de l’apprentissage des élèves et d’une meilleure gestion des compétences dans le respect de chacun.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de toute ma considération,

Décembre 2020

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