J’ai peur de témoigner. J’ai peur des représailles. Je travaille pour une institution maltraitante. Je suis prof.
Alors je ne raconterai pas tout et je resterai flou.

Passée l’agrégation, j’ai été, pendant de longues années, TZR : Titulaire en Zone de Remplacement. C’est une situation courante en début de carrière dans laquelle on apprend surtout à se taire. Il faudrait pouvoir éviter l’affectation infernale, à l’autre bout de l’académie, sur plusieurs établissements, ou à faire seulement des remplacements de courte durée, à devoir s’adapter à une nouvelle situation tous les 15 jours. On y apprend que la seule personne qui puisse quelque chose pour vous, c’est la secrétaire, celle qui vous donne les clefs des salles et le code de la photocopieuse. On ne demande plus le manuel sur lequel travaillent les classes. Mais on ne se plaint pas : il y a pire, les contractuel.le.s qui n’ont même pas le salaire.
J’ai essayé d’envisager une reconversion et je me suis lancé dans les méandres des services administratifs. La seule chose qui m’a été proposée, c’est de verser l’intégralité de mon DIF (Droit Individuel à la Formation) à un de ces services pour faire un bilan de compétences.
Et puis j’ai eu mon premier poste fixe. Il est très loin de chez moi. Lorsque j’ai cours à 8h, je dois me lever à 5h30. Lorsque j’ai une réunion avec les parents ou un conseil de classe après mes cours, il m’est arrivé de rentrer chez moi à 22h. Pour repartir le lendemain à 6h.
L’an dernier, en lycée, on nous a imposé une réforme dans laquelle les programmes de deux niveaux changeaient. J’ai passé plus de la moitié de toutes mes vacances à préparer des cours. J’ai dû être arrêté deux fois. Pendant le confinement, j’ai travaillé 10h de plus par semaine pour assurer la « continuité pédagogique » avec mon propre matériel. 
Une ostéopathe m’a dit : « De toute façon, dans votre métier, la seule façon de dire « non », c’est de faire un burn out ».
J’espère qu’aucun de mes élèves ne deviendra jamais prof. 

Novembre 2020


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