Éducatrice spécialisée[1] depuis de nombreuse années[2], je dois faire face depuis 3 années à un grave burn-out. Je retrace ici, rapidement les différents faits subis au cours de ma carrière professionnelle, aujourd’hui détruite tout comme ma santé.
Une succession de violences et d’évènements traumatiques :
- 2005-2006 : situation de harcèlement de ma N+1 à mon encontre pendant 2 ans. Cela se soldera par une Inaptitude à mon poste (au sein du SESSAD[3] de l’IME) pour « danger psychologique immédiat » prononcée par le médecin du travail suivi d’un entretien préalable de licenciement…
Ce harcèlement ne fut pas reconnu à l’époque ni par l’employeur, ni par les syndicats. J’ai dû faire face à l’époque, comme aujourd’hui, a une absence totale de soutien syndical malgré mes demandes répétées. Il est quasi impossible dans le secteur social et médico-social de faire reconnaître la violence au travail. Cela est encore moins politiquement correct qu’ailleurs, eu et égard aux missions qui incombent à ce secteur : l’aide et le soin à la personne. L’hypocrisie est encore plus de mise ici qu’ailleurs. Les protocoles bien sûr existent. Tout est en règle sur le papier mais cela n’a qu’une fonction parapluie pour l’employeur… Les protocoles sur la Bienveillance, les RPS, la RSE ne sont que de la Com, une coquille vide.
- Sept 2006 : affectation de dernière minute au sein d’un autre établissement (à mi-temps). Cela me permet de me reconstruire psychiquement et professionnellement malgré la perte de salaire.
- Juin 2010 : Menace de mort à mon encontre et à l’encontre de ma famille par un adolescent de l’IME. Effondrement psychologique suite à l’absence de soutien de la Direction et de l’équipe. Déni de la violence. La direction m’impose de changer de groupe en raison « du contre-transfert négatif » entre ce jeune et moi. Aucune fiche d’événement indésirable ne sera produite. Aucune trace de cet événement traumatique au niveau institutionnel. La situation est réduite par l’Equipe de Cadres à un problème de relation duelle alors qu’un travail d’équipe concerté et cohérent eu été nécessaire face à une personne souffrant d’une pathologie psychiatrique lourde. Là encore, le déni collectif l’emporte face aux difficultés, aux désaccords institutionnels pour faire face à la gestion de la violence et la question des limites à poser. L’absence de dialogue est prégnant.
- Avril 2013 : Remise en cause de mon travail par un collègue. Il dénonce auprès de la Chef de Service, sans venir m’en parler et /ou me venir en aide, le fait que j’ai « contentionné » un jeune qui agressait ses camarades. Je fus convoquée par la Direction et de nouveau stigmatisée professionnellement. Nouveau déni de la violence. Le jeune sera changé de groupe, ce qui n’apaisera en aucun cas ses angoisses et la violence qui en découle. Deux collègues me soutiendront auprès de la direction, mais sans effet.
- Juillet 2015 : licenciement de la CSE[4] de l’IME pour faute grave (phénomènes de violences répétés à l’encontre d’un enfant). Choc institutionnel. Scission de l’équipe entre les professionnels sûrs de leur bon droit (celui d’avoir dénoncé un fait inexcusable) et ceux qui se saisissent de cet évènement pour interroger le travail d’équipe et le rapport à la violence au sein de l’institution. Le déni et le manque de dialogue l’emportera de nouveau.
- Avril 2017 : expression en équipe de ma peur d’un adolescent très violent et demande de relais aux collègues car impossibilité d’offrir un cadre sécurisant et contenant pour lui et les autres jeunes.
- Juin 2017 : on m’impose de prendre en charge ce même jeune pour une activité à l’extérieure. Je refuserai de prendre charge ce jeune pour une activité Jardin à l’extérieur de l’IME pour des raisons de sécurité.
- Juillet 2017 : félicitations de la directrice pour mon « courage » d’avoir osé exprimer mes limites. Mépris affiché de certains collègues qui m’ignorent. Démotivation totale, impression d’être en décalage complet avec la majorité de l’équipe. Repli de ma part, fuite des temps de pauses le midi. Perte de sens accrue.
- Après la dénonciation par le psychologue, je suis désormais stigmatisée comme quelqu’un ayant « peur ». L’équipe pluridisciplinaire dans sa grande majorité ainsi que les cadres se protègent, par un déni devenu massif et toujours aussi toxique des phénomènes de violence à l’œuvre au sein de l’institution.
- Année scolaire 2017-2018 : remplacement de 3 semaines prévu en octobre au sein d’un autre SESSAD (au regard de ma demande de mutation interne restée sans suite depuis 2011). Il s’arrêtera au bout de 8 jours suite à un accident.
- Arrêt de travail à partir du 3 janvier 2018 : pour cause de Burn-out. Humeur dépressive, difficulté de concentration, baisse d’efficacité, problèmes de mémoire, grande fatigue, insomnies… Sous antidépresseur pour la première fois de ma vie. Harcèlement transversal confirmé par un cabinet de psychologues du travail, lors d’une consultation en février 2018.
- Année scolaire 2018-2019 : Prolongation de mon arrêt de travail jusqu’au 27.11.2020. Affectation transmise par courrier pour la rentrée de septembre 2018 sur un groupe non souhaité. Ceci est contraire à la règle institutionnelle relative aux changements de groupe éducatif (rappelée dans le baromètre social 2015) : elle prend en compte, dans la mesure du possible, la demande annuelle d’affection de chaque éducateur. Je contacte les DP par mail puis par téléphone pour leur faire part de mon étonnement quant au non-respect de cette règle. Aucun retour ne me sera fait à ce sujet.
- Novembre 2019 : Reconnaissance de Maladie Professionnelle par la CRRMP[5]. Les délégués du personnel de l’époque (toujours mandatés aujourd’hui pour représenter les salariés) ont osé témoigner en ma défaveur lors de l’enquête de la CPAM. Ils ont répondu à la demande de la Direction et prétendus que mon arrêt maladie était sans rapport avec mes conditions de travail : « j’étais juste dépressive et avait un problème personnel avec la violence ». Vive le syndicalisme !…
- 30 novembre 2020 : Inaptitude à tout poste au sein de l’Association prononcée par le médecin du travail.
- Décembre 2020 : ITI(interruption temporaire d’inaptitude) non rémunérée car l’employeur n’a pas envoyé les documents nécessaire à la CPAM… Il continue dans le mépris, l’indifférence…
- Aujourd’hui, 16 janvier 2021 : je suis toujours en attente de licenciement. Pas de nouvelles de l’employeur depuis le 20 mai 2020. J’ai l’impression que mon employeur me croit morte…
Certes le travail auprès des enfants et adolescent est parfois difficile et exigeant. Il nécessite un investissement prolongé et constant. Mais ce sont essentiellement la succession de dysfonctionnements récurrents au niveau institutionnel et des rapports sociaux dégradés qui ont provoqués tout d’abord un stress chronique, puis un épuisement physique, mental et émotionnel.
- Décembre 2020 : ITI(interruption temporaire d’inaptitude) non rémunérée car l’employeur n’a pas envoyé les documents nécessaire à la CPAM… Il continue dans le mépris, l’indifférence…
- Aujourd’hui, 16 janvier 2021 : je suis toujours en attente de licenciement. Pas de nouvelles de l’employeur depuis le 20 mai 2020. J’ai l’impression que mon employeur me croit morte…
Certes le travail auprès des enfants et adolescent est parfois difficile et exigeant. Il nécessite un investissement prolongé et constant. Mais ce sont essentiellement la succession de dysfonctionnements récurrents au niveau institutionnel et des rapports sociaux dégradés qui ont provoqués tout d’abord un stress chronique, puis un épuisement physique, mental et émotionnel.
C’est sans doute plus facile pour la majorité de mes collègues d’être dans le déni que de s’interroger en équipe, sur comment les phénomènes violents peuvent être accompagnés, cadrés, échanger sur ses pratiques, rechercher un positionnement en équipe pluridisciplinaire cohérent concernant les limites à poser. La Direction de l’époque a laissé en l’état le problème. Pour moi, en raison de valeurs éthiques que je défends et qui m’ont fait choisir ce métier, ce n’est déontologiquement pas possible de faire l’impasse sur cette question, et c’est ce contre quoi je me suis insurgée en pure perte.
C’est ainsi que le manque de soutien et la stigmatisation de la part de certains membres de l’équipe eurent raison de ma santé.
Mépris, indifférence ou guerre d’usure, mon employeur n’a jamais acté ma maladie professionnelle (aucun échange à ce sujet de sa part), ni recherché et proposé de reclassement en interne malgré mes candidatures à différents postes.
A 54 ans quel avenir professionnel puis-je envisager, au regard de cet épuisement professionnel accumulé, de cette destruction de carrière et des séquelles irrémédiables au niveau de ma santé ?
Janvier 2020
[1] Au sein d’une association qui aide et accompagne les personnes en situation de handicap : 75 établissements, 2700 personnes accompagnées, 1700 salariés.
[2] J’ai tenu 27 ans…
[3] Service d’éducation spéciale et de soins à domicile
[4] Chef de service éducatif
[5] Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.