J’ai commencé mes premiers pas dans la presse magazine en 1994 comme graphiste-maquettiste, et j’ai vu monter depuis 2009, une dégradation dans les relations humaines faisant place à des comportements déviants et sournois. J’ai dû faire face à des stratégies de de manipulation et de dévalorisation morale. Je me suis sentie bafouée dans mes valeurs de loyauté et d’intégrité.

Une progressive déshumanisation des rédactions

J’ai souvent été témoin de double discours dans le management des équipes qui d’un côté revendiquait haut et fort des valeurs d’équipes tandis que dans les faits, je n’étais plus autorisée à participer à aucune réunion de rédaction, la direction ayant décrétée qu’un rédacteur graphiste n’y était pas nécessaire. Avec l’arrivée des systèmes éditoriaux, ce mécanisme de déshumanisation s’est amplifié, enlevant tout point de vue au maquettiste (et pas qu’aux maquettistes) en le réduisant à de la technique, et en lui demandant quand même de s’impliquer dans la production, d’être créatif sur des sujets sur lesquels il n’avait ni tenants ni aboutissants et finir par s’entendre dire qu’il manquait d’initiative, preuve qu’il n’était pas à la hauteur de ses prétentions par son propre directeur artistique, faisant allusion à l’évaluation de fin d’année (qui est un véritable foutage de gueule). Lui-même mis sous pression et cachant ses peurs et ses incompétences à absorber des charges de responsabilité irréalistes adopte une attitude de contrôle en ne déléguant plus de responsabilité ni autonomie à l’équipe, tout en montrant son insatisfaction du manque de coopération par des brimades.

Il n’était pas rare non plus de démotiver les équipes en lui demandant de faire des heures supplémentaires non justifiées pour rattraper le retard perdu par d’autres et par un manque d’organisation global alors que le dit-maquettiste s’était tourné les pouces une journée entière, parce que ça bloquait dans le flux de la copie, que pourtant le système éditorial était censé améliorer. Beaucoup d’abus de ce type et un comportement très culturel de faire croire aux autres que l’on a de la valeur dans son travail parce que l’on reste tard. Celui qui est efficace se voit alors très vite soupçonné de tire au flanc.

Ce ne sont pas des choses qui se disent, un regard suffit à culpabiliser surtout si celle-ci est honnête, rigoureuse et qu’elle ne peut rien dire.

Un maquettiste situé en bas de l’échelle est d’emblée considéré comme n’ayant rien à apporter ni rien à apprendre à sa hiérarchie sur la manière d’envisager le travail.

L’organisation pyramidale fait vite comprendre qu’à cette place-là votre parole ne vaut rien et qu’au contraire tout ce que vous allez pouvoir révéler sera utilisé pour mieux contrôler les troupes.

Les médiations pour régler des conflits d’autorité, ou les fameux séminaires censés remettre de la cohésion de groupe sont des miroirs aux alouettes qui ne sont jamais suivis d’actes et qui n’ont comme conséquences que d’infantiliser d’avantage et à renforcer un sentiment de mépris. Tout le monde y va de son ironie pour faire passer la valda tout en se goinfrant des petits fours et du champagne royalement offert par la direction pour montrer sa reconnaissance, tandis que des économies sont faites sur des fournitures de bureau et que dans le prochain déménagement, il n’est pas prévu d’étagères pour ranger les magazines ou les documents de travail.

Ces 3 dernières années après mettre éloignée du secteur pour me former et ayant choisi d’y revenir pour m’aider à soutenir mes projets nouveaux dans un autre secteur, j’ai constaté d’abord que le secteur était encore plus sinistré que je le croyais, qu’il n’y a ainsi dire plus de travail dans la presse magazine, et que dans ce contexte de perdition, les salariés en CDD sont les premières victimes d’un malaise général. Maintenant les CDD sont traités comme des variables d’ajustement, il n’y a plus de cohérence entre les postes occupés et les salaires, au moindre pas pour tenter de faire entendre des écarts abusifs, par devant on vous fait des sourires et puis vous n’êtes tout simplement jamais rappelé, vous découvrez qu’une personne a pris votre place et cela malgré toutes les félicitations pour votre travail révélant des comportements de lâcheté et de déloyauté à l’égard des collaborateurs réguliers.

Si vous êtes un peu professionnel et rigoureux il y a de forte chance pour que vous vous retrouviez en porte à faux avec quelqu’un qui aurait peur d’être démasqué dans ses faiblesses et qui préfère user de stratégie de manipulation pour salir votre réputation sur des fausses accusations, attaquer la personne sur ses valeurs morales sans qu’elle ne puisse savoir d’où ça vient et sur quel fait. Je constate que le dialogue est devenu impossible, que je devais me méfier de tout car je sentais la malveillance et pendant plusieurs mois je commençais à faire attention à tout ce que je disais, faisais, à essayer de déjouer les stratégies de déstabilisation et de mise en défaut par un collègue jaloux et manipulateur.

Une DA au prix d’une maquettiste

La rédaction m’avait réduit le temps de production ayant jugé au pifomètre que comme la DA qui me précédait et qui était partie à la retraite avait l’air de ne pas être si occupée que ça, je pouvais bien monter le journal avec deux jours en moins. Je me retrouvais donc à accepter un poste de DA au tarif d’un maquettiste et en plus d’avoir à accélérer la cadence, car la réalité était bien celle-là.

J’ai essayé d’alerter La Rédactrice en chef de l’erreur d’appréciation avec des preuves concrètes, répertoriant toutes les tâches que je faisais et le temps que cela prenait pour lui donner de quoi défendre le poste et la réalisation du journal auprès de la direction.

Quelle naïveté ! La rédactrice en chef n’a rien voulu savoir et a fermé tout dialogue par un “c’est à prendre ou à laisser”. Mon collègue, 1er secrétaire de rédaction, quant à lui faisait comme si rien n’avait changé, me m’étant en difficulté dans le flux de la copie, se plaignant ensuite de ne pas lui rendre les pages assez vite par rapport au calendrier de bouclage et rapportant n’importe quel petit écart à la rédactrice en chef en essayant de me pousser à bout pour justifier ses fausses accusations.

J’ai dû accepter la situation car je n’avais pas le choix, je suis restée professionnelle et rigoureuse. Je me suis retrouvée en burn-out à la fin de la mission. Je n’ai pas été remerciée à la fin de la mission et je n’ai pas été rappelée malgré la satisfaction de la rédactrice en chef à plusieurs reprises, j’ai découvert en la rappelant pour connaître la date imminente du prochain bimestriel et elle m’a répondu un jour avant la production du numéro qu’elle avait choisi quelqu’un d’autre pour l’essayer dans le but de prévoir une remplaçante au cas où je ne pourrais pas me libérer.

Elle ne m’a jamais rappelée.

Et maintenant ?

La violence au travail n’est que le reflet de la violence qui s’éveille partout, notre société tout entière est sous le joug de cette énergie destructrice, les gens ont peur de perdre leur travail, et du travail, le système n’en génère pas suffisamment pour tous. Le conditionnement de notre culture qui survalorise la compétition, qui nourrit la peur de l’échec et voit l’individualisme comme seul moteur d’épanouissement nous fragilise et nous fait perdre notre souveraineté.

Je ne comprends pas pourquoi on n’est pas tous dans la rue en ce moment, pas pour mettre le feu, mais pour faire acte de notre présence, de notre désaccord et de notre besoin de reprendre les rênes de nos vies, collectivement. Je rêve d’une immense marche silencieuse.

La décision de reconfinement me pose réellement cette question de la limite entre la responsabilité morale de solidarité collective et le sacrifice de nombreuses vies, celles qui sont saines, qui ne peuvent exercer leur métier ou travailler et qui ne rentrent pas dans les schémas de représentation que le gouvernement se fait de la France.  

Ça me fait violence, à un moment la nécessité va faire loi, la précarité est beaucoup plus profonde qu’on ne peut le voir, je vois des annonces qui proposent des sous locations et des annonces d’abandon de logement. Où vont aller ceux qui ne trouveront pas refuge ?

Alors quoi faire ? Et comment faire MAINTENANT pour faire face aux prochaines vagues de violence ?

Novembre 2020

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