La personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr t’emprise. Tu te débats. C’est un début.
Tu ne comprends pas ? C’est un rébus.
Comment elle s’y est prise pour t’empriser ?

La personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr s’approche, elle te somme. Tu es un rebut protéiforme.
Tu lui en fais part et la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr demeure. Tu en as marre.

T’envies une mort.
Voilà un choix.
La personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr te consume. Faut que tu t’en sortes.
Et elle se marre.
Pas sûr de toi.
Elle souffre aussi. Tu en es sûr ?

Tu prends ta douche le lendemain de la bascule du comportement ; tu checkes ta journée ; comme d’habitude. Ce check t’aide à te préparer, préparer tes idées, préparer ton mental, préparer tes affaires. Tu checkes et d’un coup, tu pleures, tu pleures, tu pleures. Tu t’écroules sous l’eau qui coule rien qu’à voir la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr, qui a changé d’attitude avec toi hier. Rien qu’à la voir pour de faux dans le check, tu hoquettes, tu t’écroules, tu pleures. Comme l’habitude que tu vas prendre.

Ça dure un peu et ça se calme. Ce peu de calme te contente, tu reprends ton savonnage. Tu maîtrises.

Un temps.

Tu t’écroules de plus belle à l’image de la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr.

Tu ne sais pas encore que la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr, te harr. Le changement est d’hier. Tu ne sais même pas que c’est possible pour toi. Tu ne sais même pas que c’est possible pour cette personne. Pas elle, pas elle, pas elle.

Tu prends sur toi ; tu te rinces ; tu prends sur toi ; tu te rinces ; tu prends sur toi ; tu te rinces ; tu sors de l’eau ; tu glisses et reprends sur toi ; ton orteil se cogne ; tu grinces en silence. Ça dort chez toi ; tu prends sur toi.

(…)

Huit messages en 48 heures. Mails, SMS et un message vocal.

Huit messages en 48 heures. Mails, SMS et un message vocal.

La personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr te demande de t’expliquer. Un collègue a pris le relais. Il a participé à la même réunion que toi et il lui a déjà expliqué. Il avait décidé de prendre le relais. C’est de toi qu’on veut les explications. C’est à toi qu’on envoie huit messages en 48 heures. Mails, SMS et un message vocal. C’est de toi que l’on veut des justifications. Tu es mis en défaut. Le collègue te conseille de ne pas répondre.

Ne réponds pas, dors, prends l’apéro chez toi. Laisse-moi faire.
Lui et toi avez deviné ce qui a démarré. Il a expliqué. Il a même lui-même raccroché au nez devant la mauvaise foi de la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr.

Huit messages en 48 heures. Mails, SMS et un message vocal.

Les nouveaux téléphones permettent de filtrer. Là, tu écoutes quand même. Tu commences les réponses que tu n’enverras pas ; tu commences à commencer à écrire des réponses que tu commences à ne pas envoyer. Tu écris la nuit entière ; après avoir pris beaucoup d’apéro avec la personne que tu aimes et qui t’aime et beaucoup de digestifs après qu’elle soit partie se coucher. Tu raies et recommences. L’alcool ne fait pas d’effet. Une ligne d’un mail de la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr vaut 3, 5, 7, 11 lignes de ta part ; il faut tout recontextualiser, démonter les omissions, les généralisations, les sous-entendus, les prétéritions, les délocutions, les prêts d’intentions, les prêts de pensées, les prêts de parole.

Tu deviens champion de la figure de rhétorique.

– Je ne voudrais pas douter de ton intégrité

– Je ne voudrais pas penser que…

– Je ne voudrais pas…

Et toi tu cries :

Et que veux-tu ?

Huit messages en 48 heures. Mails, SMS et un message vocal.

Un des SMS te demandera « TRES RAPIDEMENT » de donner le compte-rendu de la réunion. La réunion s’est terminée à 18 heures. Tu as 40 minutes de trajet. T’as le droit au repos. Tu prends l’apéro. Il ne fait plus rien. Tu en as bien besoin même s’il ne fait plus rien. Ton collègue te dit qu’il a pris le relais, qu’il a déjà dit l’essentiel :

Ton compte-rendu attendra demain.
Tu n’y tiens plus. Il est fait dans la nuit. Il est fait dans l’insomnie. Tu le relis à 7 heures. Tu l’envoies dans la foulée. Aucun accusé réception. Encore deux messages sur d’autres sujets : Je ne voudrais pas douter de ton intégrité, mais…

Ce « mais » tue. Ce conditionnel tue. Le « ton » tue. ! Et que veux-tu ?

Une gaffe, la semaine suivante, t’apprendra que le compte-rendu réclamé «TRES RAPIDEMENT » n’a jamais été lu.

Huit messages en 48 heures. Mails, SMS et un message vocal. Pour rien. Pour rien d’autre que de t’envoyer huit messages en 48 heures. Mails, SMS et un message vocal.

(…)

Tu la tueras, la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr, ou tu te tueras toi

La nuit est dangereuse et remplie d’anges étranges qui te somment à te venger.

Tuer, tuer, tuer.

Reste à savoir à qui la vie réservera le sort d’être mort.

Tu la tueras, la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr, ou tu te tueras toi.

Que cette personne meure ou qu’elle arrête. Qu’elle tombe, qu’elle s’écroule, qu’elle s’agite de maladies infernales, qu’elle perde la vie d’une balle perdue.

Tu mets un contrat sur elle. Tu rencontres un tueur. Les prix sont accessibles. Tu as vu dans le deepweb. Tu n’y pensais pas. Tu réfléchis. Le mieux est de payer en liquide. Tu étanches la relation. C’est un pro. Il va déguiser le meurtre en accident. Il a le choix. Tu lui fournis des scénarios. Tu lui fournis les adresses, des infos :

Il l’agresse pour vol et lui file, au moins, un coup de batte de base-ball. Pour la punir, dans les genoux, pour la tuer, dans le cou.

Il trafique sa voiture pour créer un accident de voiture.

Il tire avec une carabine de chasse pour faire croire à un accident de chasse.

Il s’introduit chez elle nuitamment et ouvre le gaz. Il laisse sur la gazinière une casserole d’eau faisant croire que la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr a ouvert le gaz en oubliant d’allumer la flamme[1].

Il tire à la Kalachnikov sur la terrasse où la personne est assise. C’est le mieux, oui, c’est le mieux. C’est plus cher. Le meurtre est déguisé en attentat. Le prix à payer est la mort de plusieurs personnes. Tant pis. L’enjeu est la paix. Le mieux même est que tu lui aies proposé ce café en terrasse pour faire la paix.

La personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr accepte.

Tu t’installes. Vos montres sont synchronisées. Tu prends une bière bien fraîche comme celle que vous preniez au temps des connivences, des confidences, de la confiance. Gaspillage, tu n’en boiras que la moitié. Tu quittes la table pour aller aux toilettes. Le tueur arrive à moto. Synchro. Oui, tu as payé un complice de plus. La moto glisse et il tue. Tu as tout payé. Ta vie n’a pas de prix. Tu sors des toilettes. Le bruit t’affole. Tu te doutais. Le bruit est terrible. Tu cours vers la terrasse. Tu recueilles son dernier souffle. Tu tentes de la maintenir en vie. Tu tentes d’arrêter l’hémorragie. Tu ne peux plus rien faire. Tu la tiens dans tes bras. Tu recueilles ses derniers mots. La personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr se confie. Elle regrette son comportement avec toi. Tu lui pardonnes. Ton acte est héroïque. Tu as tout tenté pour la sauver. Tu t’émeus de la mort de la personne qui te harr, celle qui te harr, celle qui te harr qui meure dans tes bras.

Tu finis ta bière.
Penser la mort des gens. Se panser grâce à la pensée de la mort des gens. Penser n’est pas tuer.
Et la magie noire, tu y penses ?

Extraits du texte « La personne qui te harr »,  Editions du Non verbal/A.M.Bx, 2020 : http://www.ambx.net/

« Pour contacter l’auteur, vous pouvez écrire à  tsaa@tsaa.fr »

[1] En référence à un roman de Kundera

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