Je suis infirmière en santé au travail, et le travail m’a rendu malade. En poste dans un centre de gestion pour la fonction publique territoriale, je m’emploie à préserver la santé des fonctionnaires territoriaux sur 2 départements ruraux du sud de la France.

Je suis arrivée en santé au travail après avoir évolué dans un grand nombre de secteur de la santé, hôpital, clinique privée, centre de soins à domicile, EHPAD, PMI, nuit, jour, matin, coupé. Bref je crois avoir de l’expérience et même la sagesse qui s’acquière avec. J’ai bientôt 61 ans, je me suis épanouie dans toutes mes différentes fonctions, je n’ai jamais eu d’arrêt de travail hormis pour une sciatique carabinée il y a 20 ans.

Il y a deux mois, une amie infirmière à qui je téléphonais m’a juste dit : « Bon là ça suffit, tu déconnes à plein tube, STOP, tu vas voir ton toubib».

Je suis arrivée chez mon médecin généraliste et j’ai pleuré pendant une heure comme une gamine de 10 ans qui vit son premier chagrin d’amour. Je me suis entendu dire ces mêmes mots que je prononce régulièrement aux agents que je reçois en entretien infirmier. « Monsieur (ou Madame) vous avez passé la frontière du supportable (burn-out, effondrement professionnel, comme on veut…), vous allez devoir vous arrêter avant de ne plus pouvoir vous lever de votre lit, un beau matin ». 

Je n’y croyais pas, pas moi, pas moi, pas moi.

Un nouveau responsable de service, jeune cadre ingénieur hygiène-sécurité (méconnaissant le monde médical), un médecin référent pontifiant (ayant largement dépassé l’âge de la retraite), un mépris pour le travail des infirmières en santé au travail (pourtant spécialisation acquise par un diplôme universitaire ou une formation spécifique) ont eu raison de ma passion pour mon métier (malgré la solidarité de mes collègues infirmières, merci à elles !)

Des journées à enchainer les consultations (puisque ça rapporte), faire de la route pour être au plus près des collectivités, sans souci de confort (installée pour la journée de consultation dans des locaux sordides sur une chaise en bois par exemple) entendre les plaintes, soulager les chagrins, chercher des solutions (le plus souvent introuvables), être dans l’empathie, la bienveillance, et j’en passe. Mais non ce n’est pas le pire, le vrai pire celui qui vous plie, qui vous broie, qui vous noie, c’est le manque total de reconnaissance, de considération, d’écoute, l’absence abyssale de soutien de vos chefs. Les injonctions paradoxales, faire bien, faire mieux, faire vite, faire plus. 

Et moi…… lentement….. Qui m’enfonce. Sans lumière, sans échelle, le vide, le non-dit, le petit enfant qui crie « il est où ? »  Quand il a juste la tête cachée au creux de ses mains.   

Le dire à mon responsable et avoir en réponse un « je vais faire attention, qu’est-ce que je peux faire ? » Trop tard, trop tard, trop tard. Tu es responsable d’une équipe, ne pas t’apercevoir que plusieurs de tes agents ont déjà franchi la frontière et briller par une pirouette « je vais faire attention » !

Pendant le confinement j’ai  « télétravaillé », avec une pression permanente pour construire et déconstruire des projets, dans le seul but de nous occuper. Dès le déconfinement, sans un seul mot de ma direction, je suis repartie sillonner les routes de mes départements « faire » de l’entretien puisqu’on avait suffisamment perdu d’argent pendant ces 2 mois. 

Et j’ai craqué, un mois d’arrêt pour enchainer sur les vacances, je reprends bientôt, je dois reprendre, je vais reprendre, je peux reprendre. 

J’ai lu cette définition du burn-out (pardon à l’auteur dont je n’ai pas relevé le nom) «Le burn-out est une maladie de l’âme en deuil de son idéal » 

A un an de la retraite, je suis terriblement affectée de devoir faire le deuil de mon idéal. 

Août 2020

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