Marc est infirmier en médecine interne depuis 20 ans, 15 ans qu’il travaille dans le même service. En médecine interne, les pathologies sont variées. 

Quand Marc a débuté en tant qu’infirmier, les patients repartaient uniquement lorsque les médecins considéraient qu’ils étaient en état de rentrer chez eux. 

Aujourd’hui, il voit les patients entrer et sortir de plus en plus vite. Le temps de séjour s’est fortement raccourci, ce n’est plus l’état de santé du patient qui est pris en compte dans les sorties mais le coût du séjour. Conséquence, il arrive souvent qu’un patient sorti le mardi revienne le jeudi parce qu’il n’est pas guéri. Les patients ont des pathologies lourdes, il parle de drépanocytose, et de noms de maladies complexes et peu connus. Les soins associés sont complexes, et long à réaliser. Il faut prendre le temps, faire les pansements adaptés, être à l’écoute du patient pour ne pas lui rendre la vie plus pénible. C’est ça que Marc aime, la grande diversité des pathologies, l’absence de routines, le fait de continuer à apprendre malgré 15 ans passés dans le même service. 

Il n’a pas su prendre soin du patient

Depuis 2 ans, le service de gériatrie a été intégré à son service. Là, les pathologies s’expriment différemment, ce sont des personnes âgées dépendantes, fugueuses, démentes, agressives du fait de la maladie. Les soins relèvent davantage du nursing : changer 3 voire 4 fois la même personne au cours de sa garde, passer les voir régulièrement pour vérifier qu’ils ne sont pas tombés. Un jour, il raconte qu’il travaillait de nuit, la nuit il le dit c’est stressant, tu es seul pour 26 patients, nombre d’entre eux peuvent s’enfuir car les portes de l’hôpital ne ferment pas, ils se font pipi dessus, il faut changer les couches. Cette nuit-là, alors qu’il était en était au quatrième change d’une patiente, il passe devant la chambre d’un autre, fatigué, il s’arrête et trouve le patient par terre, le pied coincé dans le lit. 

Quand il est rentré chez lui, il a pleuré, pour lui c’est un échec. Il n’a pas su prendre soin du patient. Il sait que ce n’est pas de sa faute qu’il n’a pas les moyens de gérer seul tous ces patients mais pour lui, il n’a pas fait son travail. La nuit, le cerveau est en compote, le temps de réaction est long, les décisions à prendre seul sont pourtant plus nombreuses car il n’y a qu’un cadre pour tout l’hôpital, soit 10 étages composés chacun de 4 salles d’environ 25 patients et pas de médecin. On appelle un médecin en cas d’urgence absolue. Parfois il n’est pas disponible car il est au bloc, parfois il est chez lui, le réveiller l’agace. Il n’est pas évident de savoir quand appeler, il ne faut pas se tromper pour le patient mais aussi pour ne pas énerver le médecin de garde. Marc préfère travailler de jour, les médecins sont présents et il y a un travail d’équipe. C’est ce qui le fait tenir. 

En un an, il a vu 3 de ses collègues s’effondrer en pleurs de fatigue

Au cours des dernières années, l’activité a augmenté de 20%, ce qui se traduit par des séjours de plus en plus courts. Il n’entend plus parler que de coût de séjour, de chiffres, de durée moyenne de séjour et plus des patients, de leurs pathologies, de leurs douleurs, de leurs angoisses. La direction de l’hôpital ne voit plus que les chiffres quand lui, tout comme ses collègues voient les conditions de prises en charge des patients se dégrader.

Il aime toujours autant son métier mais il s’inquiète. En un an, il a vu 3 de ses collègues s’effondrer en pleurs de fatigue. Ils croisent des collègues qui se sont fait menacer par des patients et à qui la direction a répondu, ce n’est pas grave, il faut être plus fort et ne pas s’apitoyer sur son sort, il voit des collègues de plus en plus souvent en arrêt maladie. Encore la semaine dernière, un médecin âgé de 35 ans en arrêt de travail : il est en burn-out.

Il se dit qu’un jour, il craquera peut-être, il a peur aussi des constats quotidiens qu’il fait, des conditions de travail de plus en plus dégradées et de l’effet que cela produit sur les salariés, sur les patients. Il repense à son collègue, Fabien, un homme tranquille, toujours joyeux qui a mis fin à ses jours, une nuit à l’hôpital. C’était inconcevable pour lui de penser que ce Fabien- là aurait pu faire ça. Il est resté persuadé plusieurs jours après son décès qu’il ne pouvait s’agir que d’un autre Fabien, infirmier. Quand il a compris, il a pleuré, il sait que le travail l’a tué, il sait aussi qu’il aimait son travail. 

Mots clés : ViolenceDuTravail, Hôpital, Burn-Out

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