Ils sont chimistes de tranche.
Ils sont 35 dans l’équipe.
Deux tiers d’entre eux ont entre 20 et 30 ans.
L’équipe est composée pour moitié de femmes.

La maladie professionnelle

Sans leur travail pas de production d’électricité.

Leur collègue de 45 ans est mort du jour au lendemain d’une maladie reconnue comme étant d’origine professionnelle par la sécurité sociale. En interne, il n’y a pas eu d’enquête, la direction n’a pas parlé de sa maladie, ni de sa mort.

Depuis, rien n’a changé.
Ils manipulent quotidiennement des produits chimiques.
Ils sont susceptibles d’en utiliser plus de 500 différents.
Nombre d’entre eux, les plus fréquemment utilisés, sont :

  • cancérogènes ;
  • mutagènes;
  • reprotoxiques[1] c’est à dire qu’ils peuvent altérer la fertilité ou le développement de l’enfant à naître.

 L’isolement

Ils travaillent seuls au lieu d’être deux. En zone contrôlée, dans des espaces isolés.
Ils vont vite, ils courent, seuls dans les dédales de la centrale, pour accomplir les tâches indispensables à la production.
Ils mélangent des produits chimiques cancérogènes sous des hottes qui ne fonctionnent pas.
Ils travaillent dans des zones à atmosphère explosive sans protection.

Les équipements à leur disposition ne les protègent pas non plus des expositions aux risques chimiques.

Chaque semaine, pour chaque tranche, ils réalisent un prélèvement à l’aide d’une louche. Ce mode de prélèvement, à la louche, les met en contact direct avec le produit. Ils prélèvent au-dessus d’une cuve remplie d’un produit cancérogène, dans un espace confiné, humide, isolé. Le processus normal consiste à prélever dans un robinet pour éviter toute inhalation ou contact mais le robinet est bouché. Tout le monde le sait. Il suffirait de le déboucher régulièrement. Mais personne ne décide d’en faire la maintenance.

Alors, chaque semaine, parfois plusieurs fois dans la semaine, les agents sont exposés à ce produit.
La centrale tourne, ces jeunes inhalent, touchent, ingèrent des produits cancérogènes au quotidien.
Ils le disent, les experts le disent, mais rien ne change, il faut faire tourner la centrale.
La centrale tourne alors qu’elle aurait dû être arrêtée, mais il a été décidé de prolonger sa vie de 10 ans.
Les encadrants sont au courant, la direction est au courant, l’autorité de sûreté nucléaire est au courant, rien ne change.

La chance ?

Leur travail est indispensable mais invisible.
Les produits chimiques qu’ils utilisent produiront des effets sur la santé dans 10, 20, 30 ans.
D’ici là, ils irritent, font tousser, font mal à la tête, mais on ne les voit pas ou si peu. Ces produits sont peu visibles voire invisibles et leurs effets aussi.
Certains d’entre eux sont en dépression, leur manager les insulte, leur crie dessus.
Ils n’iraient pas assez vite, ne seraient pas assez productifs, oseraient questionner les prélèvements sans équipement.
C’est ainsi, il en a toujours été ainsi, c’est un ancien, il est comme ça.
Puisqu’il est comme ça, il peut continuer à maltraiter son équipe, après tout elle est déjà exposée à des cancérogènes.


Et quelle chance d’avoir un emploi, riche, varié, c’est si rare.

Mots-clés : ViolenceDuTravail, ProduitsChimiques, MaladieProfessionnelle,


[1] Un produit cancérogène (C) est une substance, un mélange ou un procédé qui peut provoquer l’apparition d’un cancer ou en augmenter la fréquence.

Un produit mutagène (M) est une substance ou un mélange qui peut produire des défauts génétiques héréditaires ou en augmenter la fréquence. L’effet mutagène est une étape initiale du développement du cancer.

Un produit toxique pour la reproduction (R), ou reprotoxique, est un produit chimique pouvant altérer la fertilité de l’homme ou de la femme, ou altérer le développement de l’enfant à naître.

0 Partages
Tweetez
Partagez