Linda a commencé sa carrière d’infirmière il y a un 1,5 an. Elle a été embauchée à la fin de ses études dans un hôpital, un établissement réputé.

L’hôpital est récent, elle le décrit comme moderne ce qui a été moteur dans son désir d’y travailler. Cette modernité elle l’associe aux bonnes conditions d’accueil et de soins pour les patients mais aussi à de bonnes conditions de travail.

Après ses études, elle a voulu continuer à travailler dans différents services, elle ne voulait pas se cantonner à une seule spécialité, donc elle a postulé au service de suppléance. C’est le service au sein duquel un pool de soignants est appelé lorsque des personnels, d’un des services de l’hôpital, sont absents. De cette manière, Linda pouvait continuer : à se former, à découvrir de nouvelles spécialités, à faire des soins différents chaque jour, à apprendre et ne pas perdre en compétence, à ne pas tomber dans ce qu’elle appelle « la routine ».

Être recruté dans ce service requiert d’avoir d’excellentes notes, d’avoir eu des évaluations toujours très bonnes durant ses stages et de ne jamais avoir été absent lors des années de formation.

En étant à la suppléance, quand elle prend sa garde, elle ne sait pas où elle sera affectée. Elle ne connaît donc pas à l’avance ses collègues. Chaque jour elle découvre aussi les patients. Elle doit, ainsi, s’adapter à l’organisation de chaque service, au protocole de chaque service, connaître tous les soins, les pathologies, et s’adapter aux demandes des médecins.

Linda travaille deux semaines de 7h à 14h36, puis deux semaines de 14h à 21h30.  Ses jours de repos sont fixes. C’est une forme de compensation à la demande d’adaptabilité que nécessite ce poste en raison du changement de service quasi quotidien.

Linda raconte qu’elle aime son travail, ses patients et la diversité de ses tâches qu’elle réalise.

Lorsqu’elle arrive dans un service, elle se présente puis elle commence sa garde. Pour commencer, il y a les transmissions. L’infirmière qui termine son service lui transmet les informations essentielles relatives à chaque patient : le motif d’entrée, ses antécédents, ses constantes, s’il a des douleurs, s’il y a un pansement à refaire, ce qu’il y a à surveiller en fonction de sa pathologie, les problèmes qu’il y a pu y avoir les jours précédents.

Ensuite, elle prépare son plan de soin, c’est à dire qu’elle regarde les prescriptions des médecins et prépare les médicaments et le matériel nécessaire à la réalisation des soins à effectuer. Puis, elle débute ce qu’elle appelle son tour, c’est à dire le tour des patients.

Surcharge de travail

A chaque fois qu’elle arrive dans un nouveau service, elle doit faire face aux problèmes d’organisation. Au fil du temps, les difficultés ont été de plus en plus nombreuses.

Durant son service, Linda est interrompue en permanence soit par un patient qui sonne, ou bien par un médecin qui arrive et veut une information tout de suite, ou alors elle se rend compte qu’il manque prescription donc elle cherche le médecin, ou bien par une aide-soignante qui a besoin d’aide pour lever un patient. Parfois elle se rend compte qu’il n’y a pas le matériel dans le service : pas le thermomètre, pas de tensiomètre donc elle court dans le service voisin pour s’en procure un. Les motifs d’interruption sont nombreux, divers et marquent son quotidien.

La charge de travail est telle qu’elle n’a pas le temps de parler plus de quelques minutes à chaque patient, elle n’a pas non plus le temps d’échanger avec ses collègues, ni celui d’aider l’aide-soignante à faire les toilettes et quand cette dernière lui demande de l’aide elle s’agace car elle n’a pas le temps. C’est aussi sa réaction qui l’énerve car elle sait que c’est la base de son métier mais qu’elle ne peut plus le faire correctement.

Perte de sens 

Ce métier, elle l’a choisi pour prendre soin des patients.

Elle se souvient qu’à l’école, les formateurs parlaient sans cesse de l’importance du « care » dans leur métier, c’est à dire de l’attention portée au patient mais cette attention elle n’a pas le temps d’en donner et ça la rend malade.

Quand elle est du matin, entre 7h et 14h36, elle n’a pas le temps d’aller faire pipi ni de s’asseoir une minute, elle ne mange pas non plus et ne boit pas.

Les services au sein desquels elle est affectée sont souvent ceux qui ont le plus de problème en termes d’organisation.

Elle raconte que dans l’un des services où elle travaille souvent, les médecins ne sont jamais présents : ils sont au bloc. Ils y sont de façon permanente depuis la spécialisation des hôpitaux sur telle ou telle pathologie. Dans ce service, tous les polytraumatisés de la région arrivent en priorité chez eux. Les opérations rapportent à l’hôpital donc les médecins opèrent en continu jour et nuit.  Conséquence, c’est à elle et à ses collègues de prendre des décisions à leur place. Elle se sent prise au piège, entre laisser un patient qui attend un médicament, qui a mal, souvent très mal, et pour lequel il faut une prescription médicale et lui donner ce médicament et régulariser la situation après avec le médecin au risque de commettre une erreur éventuellement fatale pour un patient ou de perdre son travail car elle n’a pas le droit.

Dans ce même service, elle explique que très souvent, elle prépare un patient pour une opération : douche à la bétadine, rasage etc. mais au dernier moment l’intervention est annulée faute de place au bloc. Il arrive de plus en plus souvent qu’un patient soit préparé plusieurs jours d’affilés avant d’être opéré.

Ce qu’elle voit c’est que le patient a été réveillé tôt, souvent avant 6h pour les premiers sur le planning des opérations, qu’il a suivi toutes les consignes d’hygiène, mais que cela ne sert à rien car les médecins prennent en charge des patients dont les blessures sont évaluées comme étant plus graves et donc le bloc est plein. Pourtant c’est à Linda ou à l’une de ses collègues d’aller annoncer une fois, deux fois, parfois jusqu’à 5 fois que son opération est reportée.

S’accrocher…

Elle est infirmière mais n’a pas l’impression de porter d’attention aux patients, en tout cas d’avoir les moyens de le faire.

Malgré cela, tous les jours, Linda prend sa garde, elle s’accroche pour faire au mieux son travail, tenter de trouver un moyen de faire face aux contradictions auxquelles elle est confrontée, prendre soin de patients dont les pathologies sont souvent lourdes et aller vite, toujours plus vite, faire le travail des médecins, pallier l’absence des collègues, aider l’aide-soignante qui ne peut pas faire son travail seule.

Elle le fait pour s’assurer que le patient aura les meilleures conditions de soins. Malgré cela dans cet hôpital moderne, il lui est arrivée de devoir allonger les patients au sol lors des périodes de canicule. Il n’y a pas de système d’aération, pas de ventilateurs, aucun moyen de faire descendre la température du corps de patient qui pour certains ne peuvent pas se lever. Seule solution qu’ils ont trouvé avec ses collègues, les allonger par terre, car il y a un peu de vent au sol. Alors elle a honte, quand les familles viennent l’après-midi qu’elles puissent voir toutes ces personnes allongées à même le sol.

Elle a honte de ne pas avoir le temps de parler à chaque patient, elle a peur aussi de rater quelque chose, elle a d’autant plus peur qu’elle ne travaille pas tous les jours dans le même service, elle doit donc repérer rapidement les signes qui montreraient la dégradation de l’état d’un patient, mais elle n’a que quelques minutes pour ça. Elle a peur de faire une erreur qui conduirait à la mort d’un patient.

Les situations auxquelles elle est confrontée sont dures, elle dit qu’elle n’est pas toujours préparée, elle ne sait pas toujours comme agir face à un enfant de 11 ans atteint d’un cancer en phase terminale, des personnes âgées seules, sans famille qui perdent la tête, face à une femme de 40 ans à qui l’on vient d’annoncer qu’il lui reste quelques mois à vivre, elle ne sait pas comment faire face aux décès qui parfois sont nombreux. Elle se débrouille seule dans toutes ces situations.

Elle croise ses collègues de la suppléance au début et à la fin de la garde, dans le vestiaire. Parfois elles se racontent ce qu’elles ont vécues dans la journée, les moments difficiles, le médecin qui n’est pas venu alors qu’elle l’a appelé 10 fois, le médecin qui lui a mal parlé, la cadre qui ne lui a pas répondu, le manque de personnel, le manque de matériel, qu’elle en a marre de ne pas avoir de temps à consacrer aux patients mais le plus souvent elles préfèrent rigoler, se parler de ce qu’elles aimeraient faire le soir, l’après-midi, de leur vie personnelle. De ce qu’elle ne fera finalement pas car elle est trop fatiguée.

Ses jours de repos, elle est épuisée, elle ne veut voir personne, ni parler à personne, elle a besoin de calme, de ne pas être sollicitée.

1 an et demi qu’elle travaille à l’hôpital publique et elle se sent vidée, seule et a l’impression de ne jamais faire son travail correctement.

Elle pense rester encore une année et partir, en libéral ou changer de métier, elle ne sait pas encore.

Mots clés : ViolenceDuTravail, burn out, solitude, hôpital, infirmière

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