Extraits d’entretien

Je suis entrée comme agent de production : là on est polyvalent sur tous les chantiers et maintenant je suis pilote. Pour eux ça veut dire animer une équipe et faire fonctionner les machines. On dirige les tâches au fil de l’eau.

Les différents chantiers c’est d’abord l’arrivée, c’est-à-dire s’occuper de la réception au niveau des camions et disperser les produits : petits formats ou grands formats, ici on n’a pas de colis. Ça dure quelques minutes entre 2 et 8 minutes. On défait juste les structures des camions on ne porte pas.

Ensuite, il faut disperser le courrier, après on porte chaque bac une fois le chantier monté soit vers la machine petit format soit vers la grand format. Il faut tout trier.

Il y a toujours des réorganisations

La nuit on est en flux tendu, on travaille selon les départs des camions. Ce qui arrive à 22h tout doit être reparti à 5h, ce sont les lettres prioritaires. On avait le courrier de deux départements.

(…)

Ici on fait et on défait, il y a toujours des réorganisations, un département arrive, un autre repart, on va en avoir un nouveau bientôt.

La réorganisation de 2013, ils m’ont obligé à changer. Ils ont diminué les effectifs de nuit parce qu’il y avait moins de courrier et on a été 12 ou 13 à avoir été passé de jour de force.

Pour moi ça a été horrible, je faisais du co-voiturage ce n’est plus possible, je paie donc 150 euros d’essence en plus. J’ai perdu 300 euros en salaire et là-dessus il y a une RH qui m’a dit que « moins de budget ça se gère ». Heureusement que je n’avais pas encore acheté la maison parce que sinon je ne vois pas trop comment ça se gère. Je suis seule avec deux enfants et je n’avais plus personne pour les garder. J’ai une amie qui finalement peut les amener le matin à l’école mais mes filles elles ont 10 ans et elles se préparent toutes seules tous les matins. Ils m’ont forcé et ils n’ont pas pris en compte ma situation.

Tous les autres ont eu un entretien avec l’assistante sociale et moi j’ai attendu mais rien. Quand j’ai demandé pourquoi on m’a dit c’est au pifomètre.

Ceux qui peuvent encore ils les poussent, et ils nous cassent

Certains ont demandé des arrangements d’horaires et les ont eus et moi pas. Ils ont refusé et puis quand mon ancienne chef qui me connaissait est passée du matin et m’a vu fatiguée, pas motivée avec pas le moral, elle est allée voir la directrice, au culot et elle lui a dit vous attendez quoi que les gens se suicident et du coup au lieu de 5h-12h ils m’ont mis à 6-13h mais ça ne m’arrange pas plus du coup j’ai plus le temps de faire la sieste. Je suis fatiguée depuis que je suis du matin. La nuit avant ça allait.

Le jour, le roulement n’est pas le même que la nuit. On a un grand week-end par mois, les autres semaines on travaille toute la semaine, et une semaine sur deux on a que le dimanche de repos et la semaine d’après on a le dimanche et le mardi de repos, ça alterne. C’est fatiguant, la nuit on avait un cadencement de repos mieux : on avait un week-end de deux jours toutes les trois semaines et soit le jeudi, soit le vendredi soit le samedi c’était bien. 

Là, le dimanche je suis fatiguée, j’essaie de profiter de mes filles mais comme je suis réveillée à 3h c’est dur.

Le soir, la semaine, je suis couchée avant elles des fois. Un jour de pause c’est horrible. La semaine est longue, les journées sont longues.

On a demandé le mercredi de repos plutôt que le mardi qui ne sert à rien, au moins pour être avec nos enfants mais ils ont refusé.

Depuis que je suis de jour je travaille au petit format. On est trois, un pilote et deux agents. Le pilote est en bout de machine. Il se baisse pour ramasser la caissette et la pose sur la table quand il y en a une, ou sur ce qu’il trouve, et les agents prennent le courrier et remplissent la machine au fur et à mesure. Il y a un agent de chaque côté, une fois le courrier trié, il récupère le courrier pour le remettre dans la caissette et le mettre sur un chariot qu’il emmène une fois qu’il est plein en bout de machine.

C’est en continu, le pilote n’a pas de pause, la machine est tout le temps pleine.

Les opérateurs peuvent avoir quelques secondes de pause.

J’ai mal au dos, à l’épaule, j’ai une tendinite au poignet à force de tasser le courrier. J’attends que ce soit constaté par le médecin du travail mais il n’y en avait plus. Mon médecin l’a constaté mais ça ne suffit pas pour ici.

En janvier j’ai eu un accident du travail avec reprise légère du travail prescrite par mon médecin mais ici ils en ont tenu compte trois semaines c’est tout.

Le problème c’est qu’il y a beaucoup de dispensés le matin donc ceux qui peuvent encore ils les poussent, et ils nous cassent.

En sept ans de nuit, je n’avais jamais rien eu et en un an j’ai eu plusieurs arrêts, le dos bloqué, la tendinite, la cheville bloquée. Le matin c’est l’horreur.

« J’ai été en pleurs pendant plusieurs mois »

La charge est continue. L’été il y a un peu moins de trafic apparemment mais après la réorganisation j’ai pris mes congés donc je ne m’en suis pas rendue compte. Je vivais mal le changement. J’ai été plusieurs fois arrêtée. J’ai été en pleurs pendant plusieurs mois.

L’affluence est plus ou moins importante selon les jours mais moi ce que je vois c’est que les structures sont toujours pleines sur la petit format donc je me rends pas compte. Il y a toujours 10 structures derrière.

La nuit je préférais, on était plus solidaires, c’était plus jeune aussi. Le matin ici on ne rigole pas, les gens ne parlent pas. Nous on est les derniers arrivés, on est les nuiteux même si ça fait un an. Le matin chacun est sur sa machine. La nuit on s’aide si quelqu’un est fatigué on lui dit d’aller se reposer, le matin c’est chacun pour soi.

J’ai très mal vécu de passer de jour. La nuit je connaissais tout le monde et là on ne se connait pas.

Le matin c’est dur, il y a les caissettes en continu qui sont lourdes. Le problème c’est la répétition. La nuit il y a des roulements réguliers et si on veut changer on demande donc ça passe plus vite et on a pas mal.

Depuis que je suis du matin, les difficultés c’est l’aspect continu et c’est ennuyeux. La nuit c’est plus cadencé, il faut faire partir le courrier, on a un objectif. Là si tu es sur ta machine avec deux personnes qui ne parlent pas c’est très long.

« Je veux partir »

J’ai tout perdu en passant le matin, je cherche ailleurs, je voudrai faire une formation comme puéricultrice.

Je veux partir, parce qu’avec toutes les réorganisations on a peur de changer encore. Là ils viennent de venir me voir, et ils me proposent de passer de nouveau de nuit. Ils m’ont demandé ce matin et je dois leur dire aujourd’hui, vendredi pour changer dès lundi. Je ne sais pas quoi faire. J’ai déjà changé mon organisation, je n’ai pas eu le temps d’en parler à mes filles, à mes parents qui les gardaient la nuit. Mais si je refuse ils vont me dire que je ne suis jamais contente et s’il y a une autre réorganisation et que ça rechange je sais pas quoi faire.

Pour la formation je réfléchis.

Les arrêts maladies c’est assimilé à de la fainéantise

On a un entretien annuel tous les ans mais les objectifs c’est la production : les quotas par heure mais moi je ne les connais pas, je m’en fous, je suis consciencieuse mais je ne peux pas les tenir donc je fais mon travail c’est tout.

Et des objectifs communs : moins d’arrêt maladie. Moi, on m’a reproché mon accident du travail, on m’a dit que je n’avais pas une bonne utilisation des chantiers. En même temps j’ai jamais eu la formation « mon métier, mon dos ».

Par contre, on nous met sur la nouvelle machine où c’est impossible de pousser les Kubs, ça nous casse. Mais bon c’est une mauvaise utilisation des chantiers. Les arrêts maladies c’est assimilé à de la fainéantise.

Avec la réorganisation j’ai tout perdu.

Là il me propose la nuit en TTF (trieuse de tournée des facteurs) mais je ne connais pas la machine et mes collègues me disent que comme je suis petite j’aurai du mal à atteindre le bout de la machine. Mes anciens chefs disent que je pourrai tourner mais bon si on veut m’obliger à aller sur la TTF ce sera mon contrat donc je ne sais pas quoi faire. Je dois décider et je ne sais pas encore, il me reste 3h pour décider.

Au moment de la réorganisation, un RH est venu me voir et m’a dit tu vois tu vas être avec tes petits camarades, non mais on n’est pas à la maternelle moi j’ai perdu financièrement, mes collègues, mon organisation, j’ai plus de vie privée, je suis trop fatiguée, je sors plus.

Je suis fatiguée et je conduis la nuit à moitié endormie.

Si je repasse de nuit je ne sais pas combien de temps je vais mettre pour adapter mon rythme, j’ai été très malade quand on a changé et là je dois rechanger en un jour.

mots clés :  ViolenceDuTravail, réorganisation, changement de rythme, arrêts maladies

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