Pendant plusieurs années, j’ai subi du harcèlement de la part d’un chef d’établissement et je n’ai jamais eu le moindre soutien de notre hiérarchie du fait que les recteurs que j’ai croisés ou dont j’ai entendu parler me semblent encore bien plus maltraitants (ne serait-ce que parce que tout aussi malveillants, ils sont bien plus puissants) que nos chefs directs, et qu’il est évident qu’il était non seulement connu mais surtout soutenu par cette même hiérarchie censée nous protéger et défendre des valeurs à l’opposé de ce qu’elle applique au quotidien.

Notre ministre actuel est l’archétype de cela (mais nous avons eu un condamné pour fraude – Darcos, et quelques énergumènes peu recommandables (comme Allègre) donc, là aussi, nous avons malheureusement l’habitude et peu d’espoir. Seul le degré change).

Et les sanctions que subissent les collègues comme ceux de Melles, de Bordeaux ou autres, sont là pour bien nous le rappeler !

Dans mon métier de CPE, nous voyons tous les jours la misère des élèves les plus fragiles (souvent issus de milieux défavorisés mais parfois de milieux aussi aisés).

La faiblesse de nos services sociaux, d’orientation, de santé (vous n’avez pas idée à quel point) nous amène à ne pouvoir respecter notre devoir, et à se sentir profondément impuissant (ce qui nous abîme de manière proportionnelle à l’empathie que nous avons).

La bêtise sociale (dont certaines familles et certains collègues sont de dignes représentants plus ou moins consciemment et malgré eux) augmente (merci les propos contradictoires et anti-scientifiques de nos actuels gouvernants, Dassault, Leulet, la télé-réalité, les sectes, etc. !).

Je ne parle pas de la faiblesse des moyens et des formations au quotidien qui nous cantonne à du saupoudrage face à des questions cruciales que la plupart d’entre nous avons du mal à appréhender (criseS). Ou de nos conditions de vie qui se dégradent chaque jour…

Nous avons souvent des doutes très sérieux sur la probité de collègues, de membres de la hiérarchie, parfois des doutes encore plus graves (pédophilie) mais même en se constituant dans des syndicats, il nous est, la plupart du temps, impossible de prouver les choses et cela nous met dans certains endroits, dans des conflits de loyauté, dans des stress importants…

Sur le terrain, vu le peu de cas fait de nos multiples signalements (à la CRIP, dans le RGDI, etc.) pourtant bien moins nombreux que nécessaire – en particulier par usure du fait des non-réponses et non-traitement), notre isolement face aux masses de collègues qui ne veulent pas voir, ni prendre part à autre chose que « l’instruction » au mieux, voire faisant partie du problème au pire, il faut, pour continuer, une force éthique qui, en fonction de nos vies personnelles, s’amenuise souvent au fil des années.

Ainsi, j’ai vu des gens très bien s’écrouler ou fuir et celles et ceux qui restent, comme moi, sont celles et ceux qui s’estiment encore parfois un peu utiles pour un individu ou incapables de changer pour x ou y raisons. Mais chaque jour, nous nous sentons plus isolé-es.

Cette violence est avant tout structurelle et institutionnalisée (Chapoutot l’a montrée).

Elle est relayée par des individus (cf. la ploutocratie décrite par Pinson et Charlot et les micro-pouvoirs de Foucault) et s’aggrave avec le panoptisme actuel (Foucault encore) et la dépolitisation massive (où sont les marxistes et les libertaires ?)…

Elle m’atteint de plein fouet et encore un peu plus en ces temps de pandémie.

Les situations s’aggravent. J’ai déjà perdu une élève cette année dans des conditions obscures et qui ne seront pas éclairées. Plusieurs collègues proches semblent s’approcher de leur point de rupture. Et pourtant, peu de gens – souvent par une forme de peur primale de la contagion – acceptent de le comprendre.

J’ai connaissance de dizaines de cas d’élèves en déshérence et de professeurs en souffrance.

A l’inverse, je connais des gens sans aucune des compétences requises qui faute de mieux occupent des postes à haute responsabilité et qui trop contents d’avoir ces postes qu’ils n’auraient jamais eu autrement ne les lâcheront pas, d’autant plus qu’ils sont couverts à plusieurs niveaux et que nous, n’avons aucun moyen non seulement de les écarter mais aussi de les remplacer correctement.

Entre accepter les élèves à l’école et les protéger en les laissant chez eux, la tension devient extrême, d’autant plus qu’aucune confiance ne peut être accordée à ceux censés être des « gouvernants ».

Ce ne sont donc pas des problèmes individuels, même si certains collègues et supérieurs devraient être mis au ban rapidement, mais bien STRUCTURELS.

Mon témoignage peut s’appliquer au moins, dans une majorité des territoires déshérités et probablement de plus en plus, dans des territoires qui étaient plus ou moins épargnés… et évidemment au niveau national !

L' »école française », sociale-démocrate (et qui était donc loin d’être parfaite), n’est pas démantelée par quelques islamistes (somme toute problématiques) mais bien par les ultra-libéraux aux commandes et la lâcheté diffuse mais généralisée des gens de terrain !

Elle est à l’image de notre état : un ensemble de mythes qui s’effondrent ! Une conception du monde faussée par nature (il n’y a jamais eu d’égalité, ni de démocratie réelles car jamais généralisées suffisamment) et incapable de s’actualiser (les délires « croissantistes » et les crispations identitaires qui s’avèrent de plus en plus majoritaires le prouvent).

Mais la France est loin d’être le seul pays concerné ! Seule la forme nous est propre (l’école étant un de nos pieds… d’argile).

L’anthropocène semble de plus en plus dans sa phase finale…

Combien de temps celle-ci prendra-t-elle ? Qu’y aura-t-il après ? Une autre ère ? Avec ou sans êtres humains ?

Si c’est avec quelques-uns (scénario le plus probable), qu’auront-ils pu alors devenir ?

Je ne crois pas une seconde qu’on sera capable d’inverser la tendance de l’effondrement que nous avons généré et suis juste content de ne pas avoir d’enfant !

Seule ma croyance en l’innocence des enfants qui arrivent et en l’espérance qu’un jour, les quelques survivant-es qui connaîtront peut-être l’après-effondrement, en tireront des leçons de sagesse et vivront autrement, me fait continuer.

Janvier 2021

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