Décembre 2019

Je travaille dans l’informatique dans une des grandes banques françaises, en « fixe » depuis 2 ans.

Mon chef, Amédée*, est depuis 30 ans dans l’entreprise, et depuis 10 ans dans son poste.

Ça se passe bien avec lui, jusqu’à ce que…

A ce moment-là, démarre à la SNCF une grande grève. J’habite à une heure de train grande ligne de Paris, et puis 3 quarts d’heure de métro pour être au bureau.

Amédée m’autorise à télétravailler. Il le fait un peu à reculons, mais l’autorisation est claire. Je découvre que le télétravail plusieurs jours de suite me convient bien. Par exemple, nous travaillons en effet en flex office, dans de très grands bâtiments. Je suis « old school » : au bureau, quand je dois contacter un interlocuteur, je cherche d’abord à le voir en présentiel, je trouve ça plus correct, et je perds un temps fou à chercher là où il est installé, et à repasser le voir plus tard quand il est en réunion, ce qui est fréquent. En télétravail j’utilise tout de suite les outils de communication distants : téléphone, chat, mails, et j’économise un temps précieux.

Puis tout à coup, mon chef change d’avis : il faut venir… Et c’est la galère, six heures de transport par jour. Même en restant dormir à Paris une nuit sur deux (c’est surtout côté métro que ça bloque).

Non seulement Amédée ne prend pas la peine de me parler pour m’expliquer cette nouvelle exigence, mais quand moi, je lui pose une réunion en présentiel, pour m’en parler, il se montre hyper agressif et complètement déconnecté du réel, ce qui est complètement nouveau de sa part. Amédée va jusqu’à me reprocher de ne pas avoir « deviné » qu’il fallait revenir au bureau plus tôt, malgré son autorisation à télé travailler… Au lieu de se montrer content de me voir venir avec tous les efforts que cela me coûte, il me fait la gueule… Les paroles ne veulent plus rien dire, ne reste que la violence : je n’ai qu’une envie : lui casser la gueule…

Je pars en arrêt maladie : à quoi bon se battre pour se concentrer sur des sujets difficiles qui sont les miens si c’est secondaire pour ma hiérarchie, que la seule chose qui compte est de passer la moitié de ma journée dans les transports…mon travail n’a plus de sens et je suis envahi par les ruminations et la violence.

Pendant mon arrêt d’un mois, je profite d’habiter loin pour bien déconnecter et trouver une ambiance ressourçante. En fait je travaille aussi, mais c’est une activité qui me sort peu à peu du brouillard et me permet de me projeter à nouveau sur l’avenir et de réinvestir le travail : je gère un changement de poste et de chef hyper accéléré, en communiquant avec mon n+2 , la RH et mes futurs nouveaux chefs. Il y a une sorte de deal implicite : je ne fais pas de plainte pour harcèlement, et on me recase rapidement.

A mon retour je découvre, de loin, un Amédée toujours de très mauvais poil :

  • il s’est fait manifestement «démolir » à son entretien annuel d’évaluation
  • au lieu d’avoir la promotion espérée, il a été assigné à une mission risquée, nécessitant des déplacements à l’étranger, vraiment fatigants, qu’il vit comme une punition
  • il a découvert mon salaire élevé, et dans la culture de l’entreprise, c’est signe que l’on m’a embauché pour prendre un poste d’encadrement, donc pour prendre sa place…

Dans d’autres équipes, d’autres personnes habitant moins loin, ont été autorisées à télé travailler pendant toute la durée de la grève.

De là à penser qu’Amédée a pris volontairement prétexte d’une interprétation un peu stricte des règles de présence au bureau pour me pousser à partir, il n’y qu’un pas, que je franchis allégrement.

D’autant qu’il savait parfaitement que j’étais vulnérable sur ce point-là, ayant une famille avec des enfants encore jeunes demandant une certaine présence.

Finalement Amédée en sort avec tous les avantages :

  • aucune sanction
  • il a supporté sa propre souffrance en m’utilisant comme bouc émissaire
  • il a eu le droit de recruter pour me remplacer
  • il a un rival potentiel en moins dans son service

Je n’aime pas généraliser, mais une des clefs possibles de lecture de cette histoire, c’est l’existence, encore, de nombreux « petits chefs » dans les grandes entreprises. Ces « petits chefs » gardent leur poste de chef et la part de gâteau qui va avec, non pas en faisant grandir leurs collaborateurs, mais en écartant impitoyablement tous ceux qui ont peut-être plus de compétence qu’eux…Ils font cela en utilisant avec ruse les « codes » implicites de l’entreprise (« un collaborateur qui habite loin est un emmerdeur qui ne doit pas se plaindre s’il y a des problèmes ») qu’ils maîtrisent bien, quitte à faire des dégâts humains. Mais les dégâts humains c’est si subjectif, si facile d’en dénier la responsabilité…

* Les noms ont été changés.

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