Je suis infirmière libérale depuis 26 ans, et infirmière tout court depuis 37 ans, j’ai 61 ans.
Je travaille en binôme avec une collègue beaucoup plus jeune que moi, dans un gros village des Bouches du Rhône. Nous nous entendons très bien, on a la même vision des choses et de notre travail.


Depuis le décès de ma mère il y a 14 mois, j’ai ressenti petit à petit une sorte de tension psychologique le matin avant de partir travailler, des difficultés à ne rien oublier pour quitter la maison, et pour finir des allers fréquents aux toilettes. Puis des réveils au petit matin ou en milieu de nuit, avec du mal à se rendormir en sentant que les heures passent mais que je ne me rendors pas.

Je me lève très tôt les jours de travail, vers 5h30.

Et puis, une propension à pleurer facilement, la beauté d’un paysage par exemple ou une parole gentille d’une amie ou d’un patient ou l’évocation de mon enfance, de la vie d’avant… ou la mauvaise nouvelle d’animaux qui souffrent, les horreurs qu’on entend régulièrement et qui me font bondir. Je défends la cause animale depuis des années.


Pour finir, les paperasses à faire régulièrement pour se faire payer sont devenues lourdes et je prends du retard, car je n’aime plus çà, elles me stressent, c’est supposé être plus simple car informatisé, mais la Sécurité Sociale nous en demande de plus en plus, tout en faisant tout pour nous faire culpabiliser. J’ai souvent peur de faire des erreurs dans les facturations et mettre le nez dans ces comptes ne m’intéressent plus.
Et pourtant je suis obligée de m’y mettre, sinon pas un euro ne rentrera dans ma bourse.


Le travail par lui-même est ingrat, peu de reconnaissance des tâches avec responsabilités accomplies 365 jours par an et avec le sourire ou la bonne humeur.
Je gère la maladie, la souffrance, la perte d’autonomie, le handicap, les troubles cognitifs, l’entrée en démence, les familles exigeantes mais à sens unique, personnelles, peu reconnaissantes, peu respectueuses, désordonnées, parfois menaçantes car alcoolisés et… avares.
J’ai connu des situations multiples au cours de mes visites, de la descente dans un puits pour brancher l’arrivée d’eau à la maison ou le massage cardiaque sur le carrelage d’un patient en arrêt, jusqu’au lever de la dame âgée tombée près de son lit et dont le fils demande d’appeler les pompiers..
Jusqu’ici j’arrivais à tourner la page en rentrant chez moi, je parlais à mon compagnon d’autres choses… mais ma collègue me contacte pour diverses raisons ou une famille va me rappeler et je suis replongée dans ce boulot pour résoudre tel ou tel souci ou le transmettre à ma collègue.


La pandémie du Covid-19 a encore un peu plus serré l’étau : nous n’avons pas arrêté de travailler pendant le confinement, nos patients n’ont pas été malades, et nous non plus. Mais avec des consignes multiples et incessantes de nos tutelles, et sans matériel ou presque, des masques, c’est tout. 
On sent qu’on nous recouvre d’ordres et de consignes qui sont contredits, et puis voilà débrouillez-vous avec votre quotidien, de toutes façons, vous avez l’habitude de gérer l’ingérable.
Ma généraliste me dit que je commence un burn-out, et m’a prescrit un anxiolytique léger à base de plantes, « pour commencer » et arrêter les symptômes du stress. Je vais consulter aussi une psychologue, elle m’aide à réaliser tout ce que j’ai enduré et me conseille de lever le pied ou d’envisager la retraite, ce que je suis en train de mettre en forme en me renseignant, mais là aussi je suis lente à le faire. J’ai quand même réussi à trouver une collègue remplaçante 3 ou 4 jours par mois, et cela me fait du bien. Mais tout est source de travail : c’est moi qui doit calculer ses honoraires, là aussi sans erreurs, et c’est moi qui vais la payer.


C’est bien ça la dimension du burn-out : on n’a plus envie de se démener à fond comme on l’a toujours fait, on est sans tonus, et le travail ne nous fait plus vibrer, pire le corps nous montre qu’il faut penser un peu plus à soi, et passer à autre chose.
Pour moi il y a sans doute encore 2 ou 3 ans à travailler avant d’arriver à la retraite, et donc tenir le coup, sans commettre d’erreurs, ce que je vais m’attacher à faire en gardant la tête hors de l’eau. J’ai des projets de permaculture près de la maison, et d’engagement plus profond auprès d’associations de protection animale et cela me fait vraiment m’accrocher à la vie… d’après.

Septembre 2020

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